Toutes les religions sont des impostures
« Voilà, disent ces saints et
sacrés livres de nos christicoles, comme l'idolâtrie, qui est la honte et
l'opprobre de la raison humaine, est entrée dans le monde par l'intérêt des
ouvriers, par la flatterie des sujets, par l'ignorance des peuples, et par la
vanité des princes et des rois de la terre qui, ne pouvant retenir leur autorité
dans des justes bornes, ont donné le nom de dieu à des idoles de pierre et de
bois ou à des idoles d'or et d'argent, à l'honneur desquelles idoles ils
célébraient des fêtes pleines d'extravagances et de folies, et auxquelles ils
offraient des sacrifices pleins d'inhumanité en leur immolant cruellement leurs
propres enfants, et appelaient paix l'ignorance où ils étaient,
quoiqu'elle les rendît plus misérables et plus malheureux que n'aurait pu faire
la plus méchante guerre — tot et tanta mala pacem appellant. Enfin, le
culte et l'adoration de ces détestables idoles est la cause, le commencement, le
progrès et le comble de tous les vices et de toutes sortes de méchancetés. »
(Sagesse XIV-[21 à] 27). Tous ces témoignages que je viens de rapporter
nous font clairement voir non seulement que toutes les religions qui sont ou qui
ont été dans le monde ne sont et n'ont jamais été que des inventions humaines,
mais ils nous font encore clairement voir que toutes les divinités que l'on y
adore ne sont que de la fabrique et de l'invention des hommes, et que c'est de
l'adoration même de ces fausses divinités que procèdent tous les plus grands
maux de la vie, l'origine, la cause, le commencement et la fin de tous les
maux qui sont dans le monde . Et ce qui confirme d'autant plus cette vérité,
c'est que l'on ne voit nulle part, et que l'on n'a jamais vu nulle part,
qu'aucune divinité se soit publiquement et manifestement montrée aux hommes, ni
qu'aucune divinité leur ait jamais publiquement et manifestement donné par
elle-même aucune loi ni fait aucun précepte et commandement. »
(Chapitre VIII, Origine de l'idolâtrie)
Un détail révélateur : les prétendus miracles, bricolages absurdes
« Il n'est pas croyable qu'un dieu tout-puissant, infiniment bon et infiniment sage, en aurait voulu user ainsi à
l'égard des hommes qu'il aurait tant aimés que de vouloir donner son sang et sa
vie pour eux. Il n'est pas croyable qu'il aurait jamais voulu négliger le
principal de son dessein pour s'attacher seulement à quelques légers
accessoires, comme sont les prétendues guérisons miraculeuses de quelques
infirmités corporelles ou autres semblables prétendus miracles, qui ne sont que
de très légère conséquence en comparaison du principal, qui était la destruction
entière du péché et le salut de tous les hommes.
Serait-il descendu du ciel, ce prétendu divin fils de Dieu et ce prétendu divin
sauveur des hommes ? Serait-il descendu du ciel et serait-il venu sur la terre
seulement ou principalement pour guérir seulement quelques malades des
infirmités de leurs corps ? Serait-il venu seulement ou principalement pour
rendre la vue du corps à quelques aveugles ? Pour rendre seulement l'ouïe à
quelques sourds ? Pour rendre seulement la parole à quelques muets ? La faculté
de marcher à quelques boiteux et à quelques paralytiques ? Serait-il venu
seulement ou principalement pour rendre la santé du corps à quelques malades et
pour ressusciter quelques morts ? Serait-il venu seulement ou principalement
pour préserver quelques corps morts de pourriture et de corruption ? Et pour
faire miraculeusement sonner des cloches toutes seules ? Et enfin, serait-il
venu seulement et principalement pour empêcher miraculeusement des habits, des
poils et des cheveux de brûler dans des flammes ardentes ? Et ainsi de tous les
autres vains et ridicules prétendus miracles dont on fait néanmoins tant de cas
? Serait-il venu seulement pour cela, ce divin sauveur ?
N'aurait-ce pas été plutôt pour guérir tous les hommes de toutes les maladies et
de toutes les infirmités de leurs âmes, aussi bien que de toutes les infirmités
de leurs corps ? N'aurait-ce pas été plutôt pour les retirer tous de l'esclavage
du vice et du péché ? N'aurait-ce pas été plutôt pour les rendre tous sages et
vertueux, et pour les sanctifier tous, puisqu'il serait venu principalement pour
les racheter tous et pour les sauver tous ? »
(Chapitre XX, Ils ne sont pas plus croyables les uns que les autres)
Aucun être vivant ne mérite d'être malheureux
« Et quand il n'y aurait même que la mort et que le mal que souffrent des mouches, des araignées ou des vers de
terre, que l'on écrase sous les pieds, cela suffirait pour démontrer qu'elles ne
sont point les ouvrages d'un Dieu tout-puissant, infiniment bon et infiniment
sage, parce que s'ils étaient ses ouvrages, il veillerait indubitablement à leur
bien et à leur conservation et les préserverait indubitablement de tout mal.
Penserait-on qu'un Dieu infiniment bon et infiniment sage voudrait prendre
plaisir à faire et à former ces viles petites bêtes pour les voir souffrir et
pour les faire écraser sous les pieds ? Cela serait indigne de la
toute-puissance et de la bonté infinie d'un Dieu qui pourrait facilement les
préserver de tout mal, et qui pourrait, s'il voulait, leur procurer facilement
tout le bien qui leur serait convenable suivant leur nature. On a vu autrefois,
dit-on, un empereur romain (c'était Domitien) qui, entre autres vices qu'il
avait, faisait gloire de celui-ci, qui était de se divertir à exercer et à
montrer son adresse à percer des mouches avec un poinçon (Dictionnaire
Historique de Moréri). On a eu bien raison de blâmer cet empereur de
s'occuper ainsi à un si vain et si ridicule plaisir que celui-là, et on avait
raison de regarder cela comme un signe ou comme un présage de la méchanceté et
de la cruauté de son âme. Oserait-on dire ou penser seulement qu'un semblable
plaisir serait convenable à la souveraine majesté, à la souveraine
toute-puissance et à la souveraine bonté d'un Dieu ? Et qu'il aurait voulu faire
et former des mouches, des araignées et des vers de terre pour les voir souffrir
et pour les faire écraser aux pieds ? Point du tout. Cela répugnerait
entièrement à la souveraine et infinie perfection d'un Dieu qui pourrait
facilement rendre toutes ces créatures heureuses et parfaites, chacune selon
leur nature et leur espèce. Il ne faut pas croire qu'il en aurait voulu faire
aucune pour les rendre malheureuses, et il n'y en aurait effectivement aucune
qui serait mal faite, ou défectueuse, ni malheureuse dans son espèce, si un Dieu
tout-puissant, infiniment bon et infiniment sage s'était voulu mêler de les
faire. C'est ce que je pourrais confirmer par cette maxime du grand mirmadolin
saint Augustin, qui dit expressément que sous un Dieu juste et tout-puissant
nulle créature ne peut être misérable et malheureuse si elle ne l'a mérité.
C'est même aussi le sentiment de toute l'Église romaine, qui dit dans une de ses
oraisons publiques pour le peuple, qu'aucune adversité ne lui sera nuisible
s'il ne se laisse pas dominer par l'iniquité, à la messe du premier vendredi de Carême.
J'ajouterai à cela que sous un Dieu juste et tout-puissant, aucune créature ne
mériterait et n'aurait même jamais mérité d'être malheureuse, parce que la même
bonté, la même sagesse et la même toute-puissance qui les aurait formées
entières et parfaites, chacune suivant leur espèce, aurait pourvu aussi, comme
j'ai déjà dit, à les conserver toujours dans le même état de perfection et à
empêcher qu'elles ne méritassent jamais d'être misérables et malheureuses. Et si
dans la supposition d'un Dieu tout-puissant, infiniment bon et infiniment sage,
nulle créature ne serait malheureuse si elle ne l'avait mérité, on peut
certainement et absolument dire que sous un Dieu tout-puissant, infiniment bon
et infiniment sage, nulle créature ne serait malheureuse, parce que nulle
créature, dans cette supposition, ne ferait jamais rien qui la fît mériter
d'être malheureuse, d'autant que le même Dieu qui aurait, comme j'ai dit, pourvu
à l'entière et parfaite formation de toute créature, pourvoirait aussi et aurait
pourvu à leur entière et parfaite conservation. De sorte que si un Dieu
tout-puissant, infiniment bon et infiniment sage avait jamais créé les hommes,
comme disent nos christicoles, dans un état de perfection quant au corps et
quant à l'âme, et s'il les avait créés, comme ils disent aussi, dans un état
d'innocence et de sainteté, pour les rendre à tout jamais heureux et contents
sur la terre ou dans le ciel, il ne les aurait jamais abandonnés du secours
favorable de sa divine providence, ni du secours favorable de sa divine
protection, et n'aurait jamais permis qu'ils tombassent dans aucun vice ni dans
aucun péché, parce qu'un Dieu tout-puissant, infiniment bon et infiniment sage
n'abandonnerait jamais et n'aurait jamais voulu abandonner ceux qu'il aurait
voulu créer pour une si bonne fin, et qu'il aurait voulu si parfaitement aimer
et si particulièrement favoriser de ses grâces et de son amitié. C'est ce que
disent nos christicoles eux-mêmes dans une de leurs oraisons publiques :
jamais sa providence n'abandonne ceux qu'il a établis dans la solidité de son
amour. (Dom 2. post pent). Et par conséquent, les hommes ni aucune autre
créature n'aurait jamais été malheureuse, et n'aurait même jamais rien fait pour
mériter d'être malheureuse sous la conduite et direction d'un Dieu
tout-puissant, infiniment bon et infiniment sage. »
(Chapitre LXXVII, Sous la conduite & direction d'un Dieu tout puissant qui serait infiniment bon et infiniment sage, nulle créature ne serait défectueuse, ni vicieuse, ni malheureuse)
La matière est une explication suffisante
« MAIS, DIRONT NOS DÉICOLES, IL FAUT NÉCESSAIREMENT, AU MOINS, que le mouvement de la matière et que le mouvement
de toutes ses parties soit conduit, réglé et dirigé par une souveraine
toute-puissance et par une suprême intelligence, n'étant nullement possible
que tant de si beaux ouvrages si régulièrement et si industrieusement bâtis
et composés, se soient faits et rangés d'eux-mêmes, comme ils sont, par le
seul mouvement aveugle et assemblage fortuit des parties d'une matière aveugle et privée de raison.
À cela je réponds : qu'étant évident qu'il y a toujours une multitude infinie de parties de la matière qui sont en
mouvement et qui se meuvent en tous sens par des mouvements particuliers et
irréguliers, en même temps qu'elles sont emportées par un mouvement général
de toute la masse d'un certain volume ou d'une certaine étendue considérable
de matière — qui aura été contrainte de se mouvoir en ligne circulaire,
n'ayant pu, comme j'ai déjà remarqué, continuer son mouvement en ligne
droite à raison que tout ce qu'il y a d'étendue est plein d'une semblable
matière qui n'aurait pu se retirer ailleurs pour faire place à l'autre — il
n'est pas possible que toute cette multitude de parties se soient toujours
mues ainsi sans qu'elle se soient mêlées, et sans que plusieurs d'entre
elles se soient rencontrées, se soient jointes, se soient liées, arrêtées et
attachées ensemble en plusieurs sortes et manières les unes avec les autres,
et n'aient ainsi commencé à composer tous ces différents ouvrages que nous
voyons dans Nature, lesquels ont pu ensuite se perfectionner et se fortifier
par la continuation des mêmes mouvements qui ont commencé à les produire,
étant certain que les choses se perfectionnent et se fortifient par la
continuation des mêmes mouvements qui ont commencé à les faire naître.
Car il faut remarquer qu'y ayant plusieurs sortes de mouvements dans la matière, il y en a qui sont réguliers et qui se
font toujours règlement de même sorte et manière, et d'autres qui sont
irréguliers et qui ne se suivent pas règlement — desquelles sortes de
mouvements on peut dire qu'il y en a des uns et des autres, dans toutes
sortes d'êtres ou de composés qu'il y a dans la Nature. Les mouvements
irréguliers des parties de la matière ne produisent pas règlement les mêmes effets ou ne les produisent pas toujours
de même façon, mais tantôt d'une façon tantôt d'une autre ; et comme ces
sortes de mouvements sont irréguliers ou peuvent être irréguliers en
infinies sortes et manières, c'est ce qui fait qu'il y a tant de vices, tant
de défauts, tant de défectuosités et tant d'imperfections dans la plupart
des ouvrages de la Nature, et que l'on y voit aussi si souvent des choses
monstrueuses et difformes, et d'autres encore qui arrivent contre le cours ordinaire de la Nature.
Mais les mouvements réguliers des parties de la matière produisent règlement leurs effets ordinaires. Et quand les parties
de la matière se sont une fois comme frayé quelques chemins dans certains
endroits qui les déterminent à s'y modifier d'une telle ou telle manière,
elles tendent d'elles-mêmes à continuer leur mouvement de la même manière
par ces endroits-là, et à s'y modifier de la même manière ; et ainsi, elles
produisent règlement dans ces endroits-là et dans ces occasions-là les mêmes
effets, sans qu'il soit pour cela besoin d'aucune autre puissance pour les
mouvoir, ni d'aucune intelligence pour les conduire dans leurs mouvements.
Si bien que lorsqu'elles se rencontrent ou qu'elles se trouvent fortuitement
dans ces sortes d'endroits et d'occasions-là, elles ne sauraient même
actuellement se détourner de leurs routes ordinaires ni se modifier
autrement qu'elles ne doivent, à moins qu'il n'y ait fortuitement quelques
empêchements dans leurs routes qui les empêchent de continuer leurs chemins
de la même manière et les empêche de s'y modifier, comme elles auraient dû
faire suivant leur précédente détermination, car alors elles se trouvent
contraintes de prendre quelques détours dans leurs courses ou quelques
autres modifications dans leurs assemblages, ce qui cause nécessairement
ensuite quelques défauts, quelques superfluités, quelques difformités ou au
moins quelque chose d'extraordinaire, dans les ouvrages qu'elles composent.
(Chapitre LXXXII, Toutes les choses naturelles se forment et se façonnent elles-mêmes par le mouvement & concours des diverses parties de la matière, qui se joignent, qui s'unissent et qui se modifient diversement dans tous les corps qu'elles composent)
Tous les hommes sont égaux par nature
« LE PREMIER EST CETTE ÉNORME DISPROPORTION QUE L'ON VOIT partout dans les différents
états et conditions des hommes, dont les uns semblent n'être nés que pour
dominer tyranniquement sur les autres et pour avoir toujours leurs plaisirs et
leurs contentements dans la vie, et les autres, au contraire, semblent n'être
nés que pour être des vils, des misérables et malheureux esclaves, et pour gémir
toute leur vie dans la peine et dans la misère. Laquelle disproportion est toute à fait injuste et odieuse ; injuste parce
qu'elle n'est nullement fondée sur le mérite des uns ni sur le démérite des
autres, et elle est odieuse parce qu'elle ne sert d'un côté qu'à inspirer et
à entretenir l'orgueil, la superbe, l'ambition, la vanité, l'arrogance et la
fierté dans les uns — et d'un autre côté ne fait qu'engendrer des haines,
des envies, des colères, des désirs de vengeance, des plaintes et des
murmures, toutes lesquelles passions sont ensuite la source et la cause
d'une infinité de maux et de méchancetés qui se font tous les jours dans le
monde, lesquels maux et méchancetés ne seraient certainement point si les
hommes établissaient entre eux une juste proportion d'états et de
conditions, et telle qui serait seulement nécessaire pour établir et garder
entre eux une juste subordination, et non pas pour dominer tyranniquement les uns sur les autres.
Tous les hommes sont égaux par la nature, ils ont tous également droit de vivre et de marcher sur la terre, également
droit d'y jouir de leur liberté naturelle et d'avoir part aux biens de la
terre en travaillant utilement les uns et les autres pour avoir les choses
nécessaires ou utiles à la vie. Mais comme ils vivent en société et qu'une
société ou communauté d'hommes ne peut être bien réglée ni se maintenir en
bon ordre sans qu'il y ait quelque dépendance et quelque subordination entre
eux, il est absolument nécessaire pour le bien de la société humaine qu'il y
ait entre les hommes une dépendance et une subordination des uns aux autres.
Mais il faut aussi que cette dépendance et que cette subordination des uns aux autres soit juste et bien proportionnée,
c'est-à-dire qu'il ne faut pas qu'elle aille jusqu'à trop élever les uns et à trop abaisser les autres, ni à trop flatter les uns, ni à trop fouler les autres, ni à trop donner aux uns et à ne rien laisser aux autres, ni enfin à mettre tous les biens et tous les plaisirs d'un côté, et à mettre de l'autre toutes les peines, tous les soins, toutes les inquiétudes, tous les chagrins et tous les déplaisirs; d'autant qu'une telle dépendance et subordination serait manifestement injuste et odieuse, et contre les droits de la Nature même.
(Chapitre XLII, Premier abus touchant cette grande et énorme disproportion d'état et de conditions des hommes, qui sont tous égaux par nature)
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