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Nouvelles et essais, par Julius Nicoladec

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Félix Fénéon et Maximilien Luce

Félix Fénéon (1861-1944), né en Italie et mort en France, est un personnage étrange. Selon la formule d’Octave Mirbeau, « personne n’est moins banal que lui ». Journaliste, collaborant à de nombreuses revues, collectionneur d’art – propriétaire d’environ un millier de tableaux -, directeur de Galerie, il fut un critique d’art et un critique littéraire perspicace qui sut déterminer avec sûreté les artistes et les auteurs voués à la postérité. C’est ainsi qu’il défendit Proust, Gide, Claudel pour la littérature, Seurat, Van Gogh, Gauguin, Matisse pour la peinture. Il est notamment l’auteur des premiers articles sur les impressionnistes. Ayant lui-même un don d’écriture original, « personne ne savait comme lui rédiger un rapport sur n’importe quoi », il écrit notamment de nombreux comptes-rendus de livres et critiques d’art. Mais aussi des textes plus fantaisistes, comme ses cruelles et néanmoins divertissantes « Nouvelles en trois lignes », alliant poésie, humour noir et grande maîtrise de l’écriture. Connu pour ses convictions anarchistes, soupçonné sans doute à tort d’avoir été l’auteur d’un attentat, il eut quelques déboires avec la justice.
Son épouse Fanny partageait son amour de l’art. Conformément au rôle effacé attribué aux femmes au XIXe siècle, situation sans doute également favorisée par le caractère distancié et sarcastique de Félix, elle mena une vie active, mais discrètement « à l’ombre » de son mari. Après sa mort, elle profita de la grande valeur de leur collection de tableaux pour créer le prix Fénéon, dont l’organisation est confiée à l’Université de Paris. Ce prix, encore attribué aujourd’hui, récompense « un jeune écrivain et un jeune peintre ou sculpteur âgés de 35 ans au plus et dans une situation modeste ». Maximilien Luce (1858-1941) est un peintre et affichiste français, politiquement libertaire, et surtout connu artistiquement pour sa période néo-impressionniste. Il utilisa notamment, vers 1885, et durant une quinzaine d’années, la technique du pointillisme, inventée par Georges Seurat et qui procède par juxtaposition de points de couleurs destinés à être confondus en étant vus de plus loin. Il revint par la suite à une peinture plus traditionnelle. Ami des Fénéon, il en fit plusieurs portraits, dont deux, l’un de Madame, l’autre de Monsieur, se retrouvent au musée de Nevers, conformément au vœu de Félix.

Le musée de la faïence de Nevers

Le musée de la Faïence et des Beaux-Arts de Nevers est situé dans l’ancien quartier occupé par les faïenciers du XVIIe au XIXe siècle. Il présente principalement des faïences, des peintures, et des sculptures. Pour une exposition présentée en novembre et décembre 2024 dans la salle capitulaire, intitulée « Variantes contemporaines du couple Fénéon », les amis du musée, sous l’impulsion de son président Michel Philippart (voir chronique dans le n° 181 de Florilège), eurent l’idée de présenter un projet original sur le thème de « La notion de couple chez les êtres humains ». Diverses contraintes étaient imposées aux participants, dont celle d’assembler deux œuvres, représentant chacune un des deux êtres du couple, et d’y inclure des allusions à plusieurs autres œuvres picturales historiques identifiables, dont la reprise modifiée d’un ou plusieurs éléments des tableaux de Luce représentant les Fénéon.
Montrer ainsi qu’une création contemporaine, même si elle se présente en rupture sur quelque point que ce soit, reste redevable du passé, et n’en est pas le rejet systématique. Qu’un musée n’est pas un simple conservatoire du passé, mais aussi le gardien du matériau d’où germera la création ultérieure.

Richesse de la création nivernaise

Beaucoup d’artistes répondirent à l’appel, un peu plus d’une vingtaine furent sélectionnés, constituant ainsi une exposition diversifiée, aussi passionnante qu’originale. Diversité bien sûr des moyens utilisés. Diversité des ambiances, d’œuvres joyeuses en visions plus sombres. Diversité de l’intégration de l’ancien dans le contemporain. Diversité de l’approche de ce que peut être un couple, les partenaires se faisant face ou se tournant le dos, se considérant avec plus ou moins d’aménité. La liste complète des œuvres et de leurs auteurs ne peut évidemment être dressée ici, mais a fait l’objet d’une brochure assez détaillée. Même s’il n’y avait pas de limitations territoriales, cette exposition a révélé l’abondance et la richesse de la création artistique nivernaise.
S’y ajoutaient les œuvres de trois sculpteurs. « Le couple totem », deux personnages de 1,5 m en grès cuit, regardant loin, d’Anne Foch-Lerognon (voir Florilège n° 186). « Les recyclés », œuvre en carton représentant deux silhouettes féminines, dont l’expressivité contraste avec la simplicité de la forme, par Vincent Dios, connu sous le nom de « Man & Gus ». Le « Couple » de Serge Dabrowski, ou la transformation de deux pièces de bois calcinées en un couple hiératique.

La condition de la femme

S’il était précisé dans le règlement que pouvait être abordée la notion de couple non hétérosexuel, la référence de départ à celui formé par Félix et Fanny amenait inéluctablement au rapport de l’homme et de la femme. La présence de cette question est plus ou moins implicite dans une majorité d’œuvres, amenant à s’interroger sur le statut d’infériorité subi au passé ou au présent par les femmes. Elle devient totalement explicite dans la contribution de Marc Verat qui procède quelque peu à un détournement du projet, évoquant directement par du texte écrit les crimes commis contre les femmes, aujourd’hui comme hier.

Pour en savoir plus

* Félix Fénéon, Nouvelles en trois lignes, Mercure de France (2024).
* Félix Fénéon, Oeuvres, Gallimard (1948).
* Correspondance de Fanny et Felix Fénéon avec Maximilien Luce, Du Lerot (2001).
* https://art-contemporain-contre-culture.blogspot.com/2024/10/nevers-exposition-musee-frederic-blandin.html

Julius NICOLADEC

La revue Florilège

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