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Nouvelles et essais, par Julius Nicoladec

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Lièn

Le départ de Lièn, 25 ans de formation au service de la laque

Membre du collectif LAC (laqueurs associés pour la création), Lièn est une artiste laqueuse de talent. Ses créations, notamment de décors et de panneaux laqués, manifestent souvent, parfois non sans une certaine austérité, puissance et émotion. Formatrice agréée, elle a en même temps poursuivi sa création artistique, exposant à l’occasion ses œuvres à Prémery, à La-Charité-sur-Loire, à Paris. Elle a consacré de nombreuses années à enseigner l’art de la laque, difficile, mais si gratifiant, notamment en animant pendant un quart de siècle un atelier dans le cadre de « l’atelier d’Essie » et en organisant des stages aux « Ponts des abattoirs », tous deux à Prémery. Avec cette délicate, mais nécessaire conciliation entre bienveillance et exigence, qu’elle sait pratiquer, elle a permis à de nombreux amateurs de découvrir puis de commencer à acquérir cette technique. Chaque élève ayant un projet différent qu’il élabore à son rythme, Lièn apporte, à chacun, des conseils personnalisés lui permettant de le réaliser. Elle parvint ainsi à susciter ou à confirmer de nombreuses vocations. Partant désormais pour d’autres aventures, elle a pris soin de mettre en place les dispositions nécessaires pour la « survie » de l’atelier laque, en confiant sa succession à une autre formatrice.

Survol historique

L’art du laquage, d’origine chinoise et japonaise, remonte à plusieurs millénaires. Sa base est l’utilisation d’une résine fabriquée à partir de la sève toxique d’un arbre. C’est une sorte de matière plastique naturelle, très résistante à l’eau, à l’acide, à la chaleur. Elle peut être utilisée sur des supports très divers. D’abord destinée à protéger, son mélange avec d’autres produits (oxyde de fer, cinabre…) permit ensuite d’en faire un usage décoratif sur une grande diversité d’objets : poteries, objets en bois, vêtements funéraires, etc.
Ce n’est qu’au cours des derniers siècles qu’elle s’est répandue en Europe. Au XVIe, meubles, boîtes, objets divers laqués font leur apparition. Au début du XVIIIe, les frères Martin mettent au point à Paris un produit de substitution, connu sous le nom de « Vernis Martin », moins coûteux, moins toxique, et, à certains égards, plus souple d’utilisation. D’autres vernis seront découverts. Mais c’est au début du XXe siècle que la laque devient en Europe une véritable pratique artistique, par l’intérêt que lui portent l’Art nouveau et l’Art déco. Eileen Gray en sera une figure marquante. En 1935, le « Normandie », paquebot prestigieux, est décoré de grandes laques réalisées par Jean Dunand.

Rigueur et patience

Comme l’écrit le LAC, « la lenteur de cette technique, paradoxalement suspend le temps, offrant l’approfondissement infini et constant d’un instant d’émotion ». À peu près tous les supports peuvent être utilisés à condition d’être soigneusement préparés par ponçage. Il est courant d’utiliser le dessin, exécuté sur calque, comme repère, mais il faut alors se projeter dans les différentes strates, afin de les installer pour en assembler tous les niveaux jusqu’à obtenir le rendu, toujours par ponçage.
De nombreux matériaux, parfois inattendus, permettent la construction du décor : coquilles d’œufs, nacre, fibres de coton, gaze, fil de cuivre. La métallisation — à base d’or, d’argent et de cuivre — se colore par oxydation. Le résultat est un composé complexe résultant de l’interaction entre vernis, pigments et matériaux divers, le ponçage ayant pour fonction d’enlever, et par là même, de révéler et d’affiner. Il faut donc beaucoup de couches de matières, beaucoup de ponçage, beaucoup de patience. Aussi le résultat final comporte-t-il souvent une part d’aléatoire.

Une pépinière d’artistes

Le soutien éclairé de Lièn a permis à de nombreux passionnés d’atteindre un haut niveau artistique. Une exposition au musée de Marzy permit en 2022 de présenter une sélection d’œuvres de ses élèves, actuels ou passés. On ne peut, non sans injustice, que se limiter à quelques noms.
Michèle Tarisse, par ailleurs connue pour ses huiles, réalisa des laques remarquables. Les formes émergeant de nombreuses couches de laques, nécessitant des semaines de reprises, sont souvent celles « d’une nature que l’on dirait d’ailleurs », laissant au spectateur une certaine latitude dans sa perception de l’œuvre. Une des caractéristiques de ses créations est l’intégration de la fameuse technique du sfumato, abolissant les contours précis du sujet, l’enveloppant d’une ambiance vaporeuse.
Hélène Leroy-Coquard, fascinée par la friche industrielle de l’ancienne usine Lambiotte, présentant un enchevêtrement de logiques différentes, manifestant de manière déstabilisante que toute disparition est en même temps gestation d’autres modes d’existence, en réalisa une série saisissante de laques. Un triptyque se retrouve ainsi sur les murs de la salle du conseil de la mairie de Prémery.
Yolande Michelon eut révélation de l’art de la laque lors d’une exposition à Prémery, s’inscrivit au cours de Lièn, et, après plusieurs années de pratique commença à en acquérir la maîtrise. Elle possède maintenant un atelier dans l’Yonne, dans lequel elle présente ses œuvres.
En août 2024, Josette Doreau et Mireille Millot présentèrent avec un certain succès leurs laques à la Galerie 34 de Prémery, montrant, par leurs styles différents, à quel point une même technique permet, entre figuratif et abstrait, une grande diversité d’intentions, d’expressions.
On ne peut que souhaiter la perpétuation de ce foyer artistique que Lièn a su créer...

Pour en savoir plus

* Chronique sur la laque dans le n° 179 de Florilège (juin 2020)
* http://www.laques.com/lien/
* Exposition à Marzy : https://www.lejdc.fr/marzy-58180/actualites/la-laque-au-revelateur-du-musee-municipal_14185339/
* Hommage pour un départ : https://www.lejdc.fr/premery-58700/actualites/de-lemotion-pour-le-depart-de-lien_14534664/

Julius NICOLADEC

La revue Florilège

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